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Le Chien à qui on a coupé les oreilles

 Qu'ai-je fait pour me voir ainsi

Mutilé par mon propre maître ?

Le bel état où me voici !

Devant les autres Chiens oserai-je paraître ?

O rois des animaux, ou plutôt leurs tyrans,

Qui vous ferait choses pareilles ?

Ainsi criait Mouflar, jeune dogue ; et les gens

Peu touchés de ses cris douloureux et perçants,

Venaient de lui couper sans pitié les oreilles.

Mouflar y croyait perdre ; il vit avec le temps

Qu'il y gagnait beaucoup ; car étant de nature

A piller ses pareils, mainte mésaventure

L'aurait fait retourner chez lui

Avec cette partie en cent lieux altérée :

Chien hargneux a toujours l'oreille déchirée.

Le moins qu'on peut laisser de prise aux dents d'autrui

C'est le mieux. Quand on n'a qu'un endroit à défendre,

On le munit de peur d'esclandre :

Témoin maître Mouflar armé d'un gorgerin,

Du reste ayant d'oreille autant que sur ma main ;

Un Loup n'eût su par où le prendre.

 

— Jean de La Fontaine —

Recueil II - Livre 10 - Fable 8

Les fables de Jean de La Fontaine