Le Cerf malade
En pays plein de cerfs un cerf tomba malade.
Incontinent maint camarade
Accourt à son grabat le voir, le secourir,
Le consoler du moins : multitude importune.
"Eh ! Messieurs, laissez-moi mourir.
Permettez qu'en forme commune
La Parque m'expédie, et finissez vos pleurs."
Point du tout : les consolateurs
De ce triste devoir tout au long s'acquittèrent ;
Quand il plut à Dieu s'en allèrent :
Ce ne fut pas sans boire un coup,
C'est-à-dire sans prendre un droit de pâturage.
Tous se mit à brouter les bois du voisinage.
La pitance du cerf en déchut de beaucoup;
Il ne trouva plus rien à frire.
D'un mal il tomba dans un pire
Et se vit réduit à la fin
A jeûner et mourir de faim.
Il en coûte à qui vous réclame,
Médecins du corps et de l'âme.
O temps, ô mœurs ! J'ai beau crier,
Tout le monde se fait payer.
— Jean de La Fontaine —
Recueil III - Livre 12 - Fable 6