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La Tête et la queue du serpent

 

 

 Le serpent a deux parties

Du genre humain ennemies,

Tête et queue ; et toutes deux

Ont acquis un nom fameux

Auprès des Parques cruelles :

Si bien qu'autrefois entre elles

Il survint de grands débats

Pour le pas.

La tête avait toujours marché devant la queue.

La queue au Ciel se plaignit,

Et lui dit :

Je fais mainte et mainte lieue,

Comme il plaît à celle-ci.

Croit-elle que toujours j'en veuille user ainsi ?

Je suis son humble servante.

On m'a faite Dieu merci

Sa soeur et non sa suivante.

Toutes deux de même sang

Traitez-nous de même sorte :

Aussi bien qu'elle je porte

Un poison prompt et puissant.

Enfin voilà ma requête :

C'est à vous de commander,

Qu'on me laisse précéder

A mon tour ma soeur la tête.

Je la conduirai si bien,

Qu'on ne se plaindra de rien.

Le Ciel eut pour ses voeux une bonté cruelle.

Souvent sa complaisance a de méchants effets.

Il devrait être sourd aux aveugles souhaits.

Il ne le fut pas lors : et la guide nouvelle,

Qui ne voyait au grand jour

Pas plus clair que dans un four,

Donnait tantôt contre un marbre,

Contre un passant, contre un arbre.

Droit aux ondes du Styx elle mena sa soeur.

Malheureux les Etats tombés dans son erreur.

— Jean de La Fontaine —

Recueil II - Livre 7 - Fable 16

Les fables de Jean de La Fontaine