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Les deux Amis

 

 Deux vrais amis vivaient au Monomotapa :

L'un ne possédait rien qui n'appartînt à l'autre :

Les amis de ce pays-là

Valent bien dit-on ceux du nôtre.

Une nuit que chacun s'occupait au sommeil,

Et mettait à profit l'absence du Soleil,

Un de nos deux Amis sort du lit en alarme :

Il court chez son intime, éveille les valets :

Morphée avait touché le seuil de ce palais.

L'Ami couché s'étonne, il prend sa bourse, il s'arme ;

Vient trouver l'autre, et dit : Il vous arrive peu

De courir quand on dort ; vous me paraissiez homme

À mieux user du temps destiné pour le somme :

N'auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu ?

En voici. S'il vous est venu quelque querelle,

J'ai mon épée, allons. Vous ennuyez-vous point

De coucher toujours seul ? Une esclave assez belle

Était à mes côtés : voulez-vous qu'on l'appelle ?

Non, dit l'ami, ce n'est ni l'un ni l'autre point :

Je vous rends grâce de ce zèle.

Vous m'êtes en dormant un peu triste apparu ;

J'ai craint qu'il ne fût vrai, je suis vite accouru.

Ce maudit songe en est la cause.

Qui d'eux aimait le mieux, que t'en semble, Lecteur ?

Cette difficulté vaut bien qu'on la propose.

Qu'un ami véritable est une douce chose.

Il cherche vos besoins au fond de votre cœur ;

Il vous épargne la pudeur

De les lui découvrir vous-même.

Un songe, un rien, tout lui fait peur

Quand il s'agit de ce qu'il aime.

  

— Jean de La Fontaine —

Recueil II - Livre 8 - Fable 11

Les fables de Jean de La Fontaine