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Le Statuaire et la Statue de Jupiter

 

Un bloc de marbre était si beau

Qu'un Statuaire en fit l'emplette.

Qu'en fera, dit-il, mon ciseau ?

Sera-t-il Dieu, table ou cuvette ?

 

Il sera Dieu : même je veux

Qu'il ait en sa main un tonnerre.

Tremblez, humains. Faites des voeux ;

Voilà le maître de la terre.

 

L'artisan exprima si bien

Le caractère de l'Idole,

Qu'on trouva qu'il ne manquait rien

A Jupiter que la parole.

 

Même l'on dit que l'ouvrier

Eut à peine achevé l'image,

Qu'on le vit frémir le premier,

Et redouter son propre ouvrage.

 

A la faiblesse du sculpteur

Le Poète autrefois n'en dut guère,

Des dieux dont il fut l'inventeur

Craignant la haine et la colère.

 

Il était enfant en ceci :

Les enfants n'ont l'âme occupée

Que du continuel souci

Qu'on ne fâche point leur poupée.

 

Le coeur suit aisément l'esprit :

De cette source est descendue

L'erreur païenne, qui se vit

Chez tant de peuples répandue.

 

Ils embrassaient violemment

Les intérêts de leur chimère.

Pygmalion devint amant

De la Vénus dont il fut père.

 

Chacun tourne en réalités,

Autant qu'il peut, ses propres songes :

L'homme est de glace aux vérités ;

Il est de feu pour les mensonges.

— Jean de La Fontaine —

Recueil II - Livre 9 - Fable 6

Les fables de Jean de La Fontaine