Le Paon se plaignant à Junon
Le Paon se plaignait à Junon :
Déesse, disait-il, ce n'est pas sans raison
Que je me plains, que je murmure :
Le chant dont vous m'avez fait don
Déplaît à toute la Nature ;
Au lieu qu'un Rossignol, chétive créature,
Forme des sons aussi doux qu'éclatants,
Est lui seul l'honneur du Printemps.
Junon répondit en colère :
Oiseau jaloux, et qui devrais te taire,
Est-ce à toi d'envier la voix du Rossignol,
Toi que l'on voit porter à l'entour de ton col
Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies ;
Qui te panades, qui déploies
Une si riche queue, et qui semble à nos yeux
La Boutique d'un Lapidaire ?
Est-il quelque oiseau sous les Cieux
Plus que toi capable de plaire ?
Tout animal n'a pas toutes propriétés.
Nous vous avons donné diverses qualités :
Les uns ont la grandeur et la force en partage ;
Le Faucon est léger, l'Aigle plein de courage ;
Le Corbeau sert pour le présage,
La Corneille avertit des malheurs à venir ;
Tous sont contents de leur ramage.
Cesse donc de te plaindre, ou bien, pour te punir,
Je t'ôterai ton plumage.
— Jean de La Fontaine —
Recueil I - Livre 2 - Fable 17