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L'Ivrogne et sa Femme

 

Chacun a son défaut où toujours il revient :

Honte ni peur n'y remédie.

Sur ce propos, d'un conte il me souvient :

Je ne dis rien que je n'appuie

De quelque exemple. Un suppôt de Bacchus

Altérait sa santé, son esprit et sa bourse.

Telles gens n'ont pas fait la moitié de leur course

Qu'ils sont au bout de leurs écus.

Un jour que celui-ci plein du jus de la treille,

Avait laissé ses sens au fond d'une bouteille,

Sa femme l'enferma dans un certain tombeau.

Là les vapeurs du vin nouveau

Cuvèrent à loisir. A son réveil il treuve

L'attirail de la mort à l'entour de son corps :

Un luminaire, un drap des morts.

Oh ! dit-il, qu'est ceci ? Ma femme est-elle veuve ?

Là-dessus, son épouse, en habit d'Alecton,

Masquée et de sa voix contrefaisant le ton,

Vient au prétendu mort, approche de sa bière,

Lui présente un chaudeau propre pour Lucifer.

L'Epoux alors ne doute en aucune manière

Qu'il ne soit citoyen d'enfer.

Quelle personne es-tu ? dit-il à ce fantôme.

La cellerière du royaume

De Satan, reprit-elle ; et je porte à manger

A ceux qu'enclôt la tombe noire.

Le Mari repart sans songer :

Tu ne leur portes point à boire ?

 

 

 

 

— Jean de La Fontaine —

Recueil I - Livre 3 - Fable 7

Les fables de Jean de La Fontaine