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Le Faucon et le Chapon

 

 

 Une traîtresse voix bien souvent vous appelle ;

Ne vous pressez donc nullement :

Ce n'était pas un sot, non, non, et croyez-m'en,

Que le Chien de Jean de Nivelle.

Un citoyen du Mans, Chapon de son métier

Etait sommé de comparaître

Par-devant les lares du maître,

Au pied d'un tribunal que nous nommons foyer.

Tous les gens lui criaient pour déguiser la chose,

Petit, petit, petit : mais, loin de s'y fier,

Le Normand et demi laissait les gens crier :

Serviteur, disait-il, votre appât est grossier ;

On ne m'y tient pas ; et pour cause.

Cependant un Faucon sur sa perche voyait

Notre Manceau qui s'enfuyait.

Les Chapons ont en nous fort peu de confiance,

Soit instinct, soit expérience.

Celui-ci qui ne fut qu'avec peine attrapé,

Devait le lendemain être d'un grand soupé,

Fort à l'aise, en un plat, honneur dont la volaille

Se serait passée aisément.

L'Oiseau chasseur lui dit : Ton peu d'entendement

Me rend tout étonné. Vous n'êtes que racaille,

Gens grossiers, sans esprit, à qui l'on n'apprend rien.

Pour moi, je sais chasser, et revenir au maître.

Le vois-tu pas à la fenêtre ?

Il t'attend : es-tu sourd ? - Je n'entends que trop bien,

Repartit le Chapon ; mais que me veut-il dire,

Et ce beau Cuisinier armé d'un grand couteau ?

Reviendrais-tu pour cet appeau :

Laisse-moi fuir, cesse de rire

De l'indocilité qui me fait envoler,

Lorsque d'un ton si doux on s'en vient m'appeler.

Si tu voyais mettre à la broche

Tous les jours autant de Faucons

Que j'y vois mettre de Chapons,

Tu ne me ferais pas un semblable reproche.

 

— Jean de La Fontaine —

Recueil II - Livre 8 - Fable 21

Les fables de Jean de La Fontaine