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Toutes les fables de Jean de La Fontaine, 250 fables, recherches, Château-Thierry

Quiconque a beaucoup vu, peut avoir beaucoup retenu

Une hirondelle en ses voyages

Avait beaucoup appris. Quiconque a beaucoup vu

Peut avoir beaucoup retenu.

Celle-ci prévoyait jusqu'aux moindres orages,

Et devant qu'ils fussent éclos,

Les annonçait aux matelots.

Il arriva qu'au temps que la chanvre se sème,

Elle vit un manant en couvrir maints sillons :

" Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux oisillons.

Je vous plains : car pour moi, dans ce péril extrême,

Je saurai m'éloigner, ou vivre en quelque coin.

Voyez-vous cette main qui par les airs chemine ?

Un jour viendra, qui n'est pas loin,

Que ce qu'elle répand sera votre ruine.

De là naîtront engins à vous envelopper,

Et lacets pour vous attraper,

Enfin mainte et mainte machine

Qui causera dans la saison

Votre mort ou votre prison.

Gare la cage ou le chaudron !

C'est pourquoi, leur dit l'hirondelle,

Mangez ce grain, et croyez-moi. "

Les oiseaux de moquèrent d'elle :

Ils trouvaient aux champs trop de quoi.

Quand la chènevière fut verte,

L'hirondelle leur dit : " Arrachez brin à brin

Ce qu'a produit ce maudit grain,

Ou soyez sûrs de votre perte.

Prophète de malheur, babillarde, dit-on,

Le bel emploi que tu nous donnes !

Il nous faudrait mille personnes

Pour éplucher tout ce canton. "

La chanvre étant tout à fait crue,

L'hirondelle ajouta : " Ceci ne va pas bien ;

Mauvaise graine est tôt venue.

 

Mais puisque jusqu'ici l'on ne m'a crue en rien ;

Dès que vous verrez que la terre

Sera couverte, et qu'à leurs blés

Les gens n'étant plus occupés

Feront aux oisillons la guerre ;

Quand reginglettes et réseaux

Attraperont petit oiseau,

Ne volez plus de place en place ;

Demeurez au logis, ou changez de climat :

Imitez le canard, la grue et la bécasse.

Mais vous n'êtes pas en état

De passer comme nous les déserts et les ondes,

Ni d'aller chercher d'autres mondes.

C'est pourquoi vous n'avez qu'un parti qui soit sûr :

C'est de vous renfermer aux trous de quelque mur. "

Les oisillons, las de l'entendre,

Se mirent à jaser aussi confusément

Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre

Ouvrait la bouche seulement.

Il en prit aux uns comme aux autres :

Maint oisillon se vit esclave retenu.

Nous n'écoutons d'instincts que ceux qui sont les nôtres,

Et ne croyons le mal que quand il est venu.